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Picasso, communiste?

Comment parler littérature sans parler art...? Vous ne savez pas non plus? Alors, voici un article qui devrait vous plaire. Nous l'avons dédié à un peintre, et pas n'importe lequel... le titre vous donne un indice? Et oui : Picasso!

Je suppose que vous vous demandez son rapport avec la France... Et bien, c'est très simple : exilé, Picasso trouve refuge dans l'hexagone où il s'engage, mais les contradictions de son personnage provoqueront des affaires et des scandales non négligeables au sein du parti communiste, et, chaque français en faisant parti aura son opinion bien à lui sur l'artiste. Vous comprenez maintenant? Alors, passons aux faits :

Lorsque l’on pense Picasso, l’on pense immense artiste du XXème, l’on pense chef de file du cubisme ou encore peintre engagé, mais rares sont ceux qui pensent à son lien avec le communisme. Et pourtant...



Il faut tout d’abord savoir que lorsque la guerre s’achève, Picasso est admiré comme un héros de la résistance : son art n’a pas cédé. Et c’est auréolé de cette gloire qu’il s’engagera dans le parti communiste français (PCF). Mais les horreurs vécues marquent profondément l’artiste : la révélation des camps de concentration nazis le choque et lui inspire en 1945 une toile brutale intitulée Le charnier (ci-contre). Picasso se laisse alors convaincre par son ami poète Paul Éluard d’adhérer au PCF dans lequel il s’engagera le 5 octobre 1944, à l’âge de 63 ans. Ainsi, n'étant pas un communiste de la première heure, il expliquera les vraies raisons de son engagement à travers un article intitulé « Pourquoi j'ai adhéré au parti communiste » dans le journal communiste l'Humanité le 29-30 octobre 1944 :



Une de l'Humanité le (date), journal français qui était alors l'un des organes centraux du PCF

“ Mon adhésion au Parti communiste est la suite de toute ma vie, de toute mon oeuvre... Oui j'ai conscience d'avoir toujours lutté pour ma peinture, en véritable révolutionnaire. Mais j'ai compris maintenant que cela ne suffit pas; ces années d'oppression terrible m'ont démontré que je devais combattre non seulement par mon art mais de tout moi-même. Et alors je suis allé vers le Parti communiste sans la moindre hésitation, car au fond j'étais avec lui depuis toujours. Aragon, Eluard, Cassou, Fougeron, tous mes amis le savent bien; si je n'avais pas encore adhéré officiellement, c'était par "innocence" en quelque sorte, parce que je croyais que mon oeuvre, mon adhésion de coeur étaient suffisants, mais c'était déjà mon Parti. N'est-ce pas lui qui travaille le plus à connaître et à construire le monde, à rendre les hommes d'aujourd'hui et de demain plus lucides, plus libres, plus heureux? N'est-ce pas les communistes qui ont été les plus courageux aussi bien en France qu'en URSS ou dans mon Espagne? Comment aurais-je pu hésiter? La peur de m'engager? Mais je ne me suis jamais senti plus libre au contraire, plus complet. Et puis j'avais tellement hâte de retrouver une patrie: j'ai toujours été un exilé, maintenant je ne le suis plus; en attendant que l'Espagne puisse enfin m'accueillir, le Parti communiste français m'a ouvert les bras, j'y ai trouvé tous ceux que j'estime le plus, les plus grands savants, les plus grands poètes, et tous ces visages d'insurgés parisiens si beaux que j'ai vus pendant les journées d'août, je suis de nouveau parmi mes frères.”


Cependant, en prêtant plus grande attention aux paroles que nous avons ici mises en rouge, nous comprenons que c’est un exilé qui parle et non un fervent militant. En effet, Picasso n’adhère pas à une ligne politique mais à des valeurs plus universelles de fraternité et d’espérance Ce parti lui a donné le sentiment d’appartenir à une grande famille. Ceci explique pourquoi il en restera toujours membre malgré les terribles révélations à venir sur le parti, notamment les crimes commis par Staline en Union Soviétique.



Tout au long de son engagement, le PCF restera sur ses gardes vis à vis de Picasso, un homme indépendant et un artiste insoumis. Pour vous donner un exemple, en 1951, il n’hésite pas à dénoncer l’impérialisme américain dans sa toile Massacre en Corée (ci-contre) qui évoque le massacre de civils dans la guerre opposant la Corée du Nord communiste et la Corée du Sud soutenue par les Nations Unies et les Américains. Comme Guernica plus tôt, la toile déplaît aux communistes qui n’aiment pas son style trop éloigné du réalisme soviétique mais pour un artiste tel que Picasso, pas question de se plier à une quelconque doctrine.




Pourtant, l'affaire qui entraînera le plus de tensions avec le PCF aura surtout à voir avec sa relation à Staline. Comme nous venons de le dire, Picasso est un peintre indépendant et engagé. Ainsi, au sein du Parti, il est souvent arrivé qu'on lui demande des dessins : il réalisait notamment des unes de journaux communistes ou des œuvres représentant les événements. C'est comme cela qu'il se vit demander par la CGT, en 1949, un tableau en l'honneur des 70 ans de Staline. Il réalisa alors l'encre de Chine ci-contre qui fit scandale : quelques traits représentant un verre et une main accompagnés d'une simple phrase. Dessin beaucoup trop désinvolte pour l'anniversaire de l'homme le plus aimé de son parti, qui sera vite jugé impertinent.


Mais alors que quatre ans plus tard, l'affaire s'est tassé et plus personne n'y pense, le​ Parti a à nouveau la preuve de l'indépendantisme de Picasso avec l’épisode dit du "portrait de Staline". En effet, le 6 mars 1953, l'artiste reçoit un télégramme du poète communiste Louis Aragon disant : "Staline est mort. Fais ce que tu veux, texte ou dessin”. L'artiste dessinera alors en hommage un portrait de Staline jeune qui apparaîtra dans Lettres Françaises, la revue intellectuelle du PCF (ci-contre). Moins d’une semaine plus tard, l’on peut lire dans L’Humanité :

"Le Secrétariat du Parti communiste français désapprouve catégoriquement la publication dans Les Lettres françaises du 12 mars du portrait du grand Staline par le ​​camarade Picasso. Sans mettre en doute les sentiments du grand artiste Picasso dont chacun connaît l’attachement à la classe ouvrière, le Secrétariat du Parti communiste français regrette que le camarade Aragon, membre du Comité central et directeur des Lettres françaises ait permis cette publication."​​


En effet, ce portrait provoque un scandale retentissant au sein du Parti qui reproche à Picasso de ne pas avoir représenté le "Petit père des peuples“ comme le bienveillant et rassurant vieillard que la propagande russe décrit. Picasso, vexé, ne se démonte pas pour autant, il dira seulement : “J’ai apporté des fleurs à l’enterrement mon bouquet n’a pas plu, c'est toujours comme ça dans les familles”, comparant à nouveau son Parti à sa famille. Aragon, quant à lui, admettra ses fautes avec souplesse dans sa revue et désavouera Picasso qu'il avait lui-même sollicité. "On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes - mais notre Staline, on ne peut pas l'inventer. Parce que, pour Staline, l'invention - même si Picasso est l'inventeur - est forcément inférieure à la réalité. Incomplète, et par conséquent, infidèle."



En définitive, l'attachement de Picasso au Parti communiste est indéniable. Cela dit, son refus de se restreindre aux règles que le réalisme socialiste et le Parti communiste semblent vouloir lui imposer entraîne les gens à se poser des questions. Finalement peut-être que la réponse quant au communisme de Picasso est dans la phrase de Salvador Dali :« Picasso est espagnol – moi aussi. Picasso est un génie – moi aussi. Picasso est communiste – moi non plus… ».


Alors, la question persiste et c'est à chacun d'en juger : Picasso, communiste, oui ou non?






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