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Les mains sales de Sartre


En 1948, Sartre était l'objet de la haine du Parti communiste français car l'existentialisme apparaissait comme le concurrent du marxisme parmi les jeunes intellectuels. Le 2 avril de cette même année Les mains sales, pièce anticommuniste en sept tableaux écrite par Sartre, est représentée pour la première fois à Paris au théâtre Antoine.



Les personnages :


Hugo : issu de la bourgeoisie, c'est un intellectuel et un idéaliste qui fait partie du parti communiste où il occupe le rôle de journaliste. Il désire agir de manière plus concrète afin de gagner sa place.


Hoederer : l'un des chefs du parti (secrétaire général). Partisan du pragmatisme politique, il désire s'allier à ses ennemis, le prince - fils du Régent - et Karsky - secrétaire du Pentagone - pour se rapprocher du pouvoir.


Olga : membre du parti et très proche d'Hugo. C'est une femme forte, intelligente et une activiste sans pitié.


Jessica : épouse d'Hugo, issue d'un milieu aisé. Elle est en quelque sorte le négatif d'Olga : pas sotte mais pas éduquée, apolitique. Elle incarne beauté, féminité et sensualité.


Louis : autre dirigeant du parti. Assisté par Charles et Frantz, il impose qu'Hugo soit exécuté s'il est jugé "non récupérable".


Slick et Georges : gardes du corps d'Hoederer.



L'action :


Elle prend place dans un pays fictif d'Europe de l'Ouest, l'Illyrie, pendant la Seconde Guerre mondiale. Le pays est alors dirigé par un dictateur fasciste allié aux Allemands. Deux mouvements de résistance clandestins se sont mis en place pour lutter contre ce régime et contre les Allemands : le parti prolétaire ou communiste, et le Pentagone - parti nationaliste, bourgeois et capitaliste. Ces derniers sont également en conflit.


La pièce est organisée autour d'une analepse permettant de capter l'attention du lecteur/spectateur.

En effet, le premier tableau a lieu au cours d'une soirée de mars 1945. Hugo vient de passer deux ans en prison après avoir assassiné Hoederer sur les ordres du parti. Il se rend chez Olga, sa protectrice de toujours. Selon Louis, le chef du parti, Hugo n'est plus disposé à pouvoir servir d'autres missions du parti, il est donc irrécupérable. Mais Olga obtient de sonder Hugo et de juger d'elle-même s'il est récupérable ou non. Commence alors le récit d'Hugo, racontant le déroulement de cette mission et revenant sur les raisons qui l'ont amené à commettre ce meurtre.

Du deuxième au sixième tableau, l'action a lieu deux ans plus tôt, en mars 1943. Nous apprenons que si Hugo s'est vu confié cette mission, c'est qu'il désirait faire ses preuves au sein du parti et ainsi montrer sa légitimité. On lui confie donc la tâche d'assassiner l'un des dirigeants communistes, Hoederer. Employé comme son secrétaire, Hugo découvre au fil des jours cet homme, mais surtout il apprend à lui faire confiance et à l'aimer - et ce même en dépit des désaccords entre les deux hommes. Il n'arrive tout simplement pas à le tuer. Jessica, qui connaît pourtant les plans de son mari, prévient Hoederer, loin d'être insensible à son charme. C'est en les surprenant enlacés qu'Hugo va finalement parvenir à mener à bien sa mission en tuant le chef du parti.

Le septième tableau nous ramène en 1945. Hugo a fini de raconter son histoire. Il est presque minuit, bientôt Louis arrivera pour savoir s'il est récupérable. Dans l'autre cas, il sera tué. Olga lui peint alors la situation actuelle : il s'avère que c'est la politique promue par Hoederer deux ans auparavant qui est désormais de rigueur et que celui-ci a été propulsé au rang d'icône et de visionnaire. Le meurtre commis par Hugo fut vain. En outre, il n'est récupérable que s'il admet que son crime était passionnel et non pas politique. Hugo refuse : en revendiquant son crime, il honorera la mémoire d'Hoederer et il retrouvera enfin de sa dignité. Refusant de se taire, il s'autoproclame "non récupérable" et choisit la mort.




Analyse de l'oeuvre :


Cette pièce possède à la fois une portée philosophique et politique.

Sartre oppose ici le pragmatisme politique à la pureté idéologique. Hoederer incarne le premier, infiltrant le marxisme pur et le dénaturant. Hugo quant à lui représente la version du marxisme idéal selon Sartre, c'est-à-dire dans lequel est intégré l'existentialisme. Celui-ci pense en effet que l'existentialisme est l'avenir du marxisme, que sans lui il ne pourrait plus fonctionner. Ce que l'auteur souhaite, c'est une solution intermédiaire : une philosophie politique qui unira l'humanisme et le sens de la responsabilité du premier avec l'attitude non-compromettante et la capacité de dire "non" du second. La fin de la pièce où Hugo offre sa vie à Hoederer tout en protestant contre sa politique symbolise cette union.

La pièce établit également des liens avec l'actualité de l'époque : l'Illyrie conquise par les communistes fait penser à la Hongrie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle illustre la désillusion des communistes face aux moyens mis en oeuvre par la politique stalinienne en URSS dans le contexte de l’après-guerre et de la Guerre Froide. Cette situation historique se double d'une situation morale et politique posant la question de la fin et des moyens de la prise du pouvoir.

Sartre s'interroge ici sur l'usage de la violence politique dans l'action révolutionnaire : un révolutionnaire doit-il, au nom de l'efficacité, risquer de compromettre un idéal ?

Cette œuvre fut très mal accueillie par les communistes lors de sa parution car elle montre les clivages des partis communistes. Malgré tout, elle reste d'actualité et possède encore une forte résonance de nos jours.








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